Les loups, complices en famille, ont-ils été complices des hommes ?

Départ de chasse

Où nous allons découvrir qu’aux temps préhistoriques, les hommes chasseurs-coureurs et les loups n’étaient pas toujours concurrents, mais parfois complices !

Les trois coureurs chasseurs trottinent doucement dans le petit jour, en file indienne. Kaz, Ouri et Warms. Chacun porte une lance. Kaz court en tête. Warms ferme la marche.

Autant qu’ils le peuvent, Kaz et Warms protègent et ménagent Ouri. De lui dépend le succès de leur chasse, car il est le plus rapide des trois. Non, de chacun d’eux dépend le succès de la chasse. Warms est presque un géant, une force de la nature. Un atout formidable pour les trois hommes s’il faut combattre. Des étrangers, ou quelque fauve. Mais tout commence avec Kaz. Bien que le plus jeune des trois, Kaz est profondément respecté des deux autres. Parce que Kaz a été initié, depuis son plus jeune âge, par son propre aïeul. Kaz sait.

Mais ce matin, la course de Kaz semble moins déterminée qu’à l’ordinaire. On dirait presque qu’il court au hasard, comme avec distraction. Warms émet un grognement d’impatience. Les loups, où sont les loups, voilà ce que signifie le grognement de Warms. Sans se retourner, sans changer son allure, Kaz lève sa lance et dessine vers le ciel une sorte de cercle. C’est la réponse de Kaz ; les loups ne sont pas loin ; mais ils ne nous ont pas encore repérés. Dès qu’ils nous auront flairés, ils nous rejoindront.

Les loups

Kaz a raison, les loups ne sont pas loin. Un mâle d’expérience, et six de ses petits. La louve est au terrier, avec la dernière portée. Trois mâles et trois femelles. Quatre douze-lunes, pas encore bons à grand-chose. Et seulement deux vingt-quatre lunes, qui forment avec leur père une équipe trop faible pour s’en prendre à des proies d’importance. Les chasses précédentes sont venues à bout de tous les autres louveteaux de ces deux portées. La famille s’en trouve grandement affaiblie, et le père est soucieux. C’est qu’il faut de la viande, beaucoup de viande, pour les loups chasseurs, mais aussi pour la louve et sa portée dans la tanière. Mais comment s’y prendre avec une troupe aussi faible ?

Malgré tout, Rani, le vieux loup trotte avec confiance. Le nez en l’air, il flaire, il flaire, il cherche. Soudain, il ralentit, oreilles dressées, poil en bataille. Aucun doute, ce qu’il cherche, il vient de le trouver. Trois deux-pieds, droit devant eux. Ce sont eux, aucun doute. Ils vont trop lentement pour aller quelque part, et produisent trop de bruit aussi. Ils cherchent à se faire repérer. Par lui, Rani, le loup sage et ce qu’il reste des siens. Seuls, les trois deux-pieds ne sont rien dans cette savane sauvage. Et les survivants de sa famille ne sont rien non plus. Mais ensemble, ils vont constituer une meute redoutable, capable de venir à bout des gibiers les plus forts et les plus combattants

Début de chasse

À nouveau, Kaz lève sa lance. Lui aussi a repéré les loups. Il arrête sa course, les deux autres avec lui. Où ? grogne encore Warms ? Kaz agite sa lance. Il ne sait pas exactement. Mais il est sûr qu’ils sont là. Comment ? Les a-t-il entendus, flairés ? Non, rien, mais il sait, voilà tout. Rani, Rani le loup et Kaz savent se penser l’un l’autre. Rani, parce qu’il est un loup et Kaz, parce qu’il a été initié par l’aïeul. L’homme, le loup, complices !

Maintenant, ce sont les loups qui courent en tête. Rapide, Rani ouvre la course ; il sait où il court. Un vieux wapiti qu’il a repéré depuis plusieurs jours, se gavant de l’herbe grasse près du grand fleuve. Une proie bien trop risquée pour sa famille. Mais exactement ce qu’il faut pour la meute qu’ils font avec les deux-pieds.

Mais pour l’instant, Rani ne court pas vers la proie. Silencieux, comme tous les autres derrière lui, qui l’imitent, il décrit une sorte de demi-cercle, qui vise à couper la route vers le fleuve.

L’éveil de Wapiti

Soudain, Wapiti dresse la tête. Il vient d’éventer l’ennemi. Deux, peut-être trois loups marchent vers lui venant le fleuve. Aussitôt, sans inquiétude, l’animal s’élance. En un instant, il a semé ses poursuivants ; le temps de reprendre son souffle, il trottinera vers le fleuve. Les loups se montrent parfois dangereux sur terre, mais dans l’eau, ils sont le plus souvent de piètres combattants

Wapiti ne pourra jamais rejoindre le fleuve. Les loups vont moins vite que lui, mais ils ne cherchent pas à le rattraper. Ils se contentent seulement de courir entre le fleuve et lui. Quand Wapiti a repris son souffle, les loups sont de nouveau à sa hauteur.

La course a duré toute la matinée. Les départs de Wapiti sont de moins en moins rapides. Il a vaguement conscience que les loups ne courent pas seuls, mais le manque d’oxygène a commencé d’obscurcir son cerveau. Ses poursuivants n’accélèrent, ni ne ralentissent jamais ; presque une course monotone, mais une course implacable.

Course infernale

Soudain, Kaz fait signe. Ouri comprend, il s’élance aussitôt. Une course invraisemblable, dont seuls certains rares coureurs sont capables. Bientôt, il est à la hauteur des loups, puis il les dépasse. Wapiti tente un effort désespéré ; pendant un instant, on peut presque croire qu’il va pouvoir distancer le coureur ; mais celui-ci accélère encore ; soudain le poursuivi, hors d’haleine arrête sa course, se retourne, et fait face, désespéré, mortellement menaçant ; loin derrière, Warms pousse un hurlement sauvage : il veut qu’Ouri l’attende ! Même hors de souffle, le wapiti est un combattant beaucoup trop fort pour Ouri, seul lui, Warms est de taille à en venir à bout.

Mais Ouri n’entend plus rien ; il sait que Wapiti est trop fatigué pour charger. Il faut seulement trouver le moyen de planter la lance sans se faire éventrer. Wapiti tombe a genoux, la lance d’Ouri est plantée jusqu’au cœur. Les loups ont rejoint le combat, mais d’un grognement sec, Rani les retient : Wapiti va mourir, mais il lui reste encore assez de force pour blesser hommes et loups. Les crocs des deux-pieds sont plus longs et plus sûrs que ceux de vingt loups. À son tour, Warms est là. Il a jeté sa lance et dégainé son biface. Contenant d’une main les bois de l’animal, il plonge le biface dans la gorge dégagée ; le sang gicle, Wapiti s’effondre, mort.

La part des loups

Les loups veulent s’élancer, Rani les retient encore ; les loups s’épuiseraient à déchirer le ventre de Wapiti ; en quelques coups habiles des crocs qu’ils tiennent dans la main, les deux-pieds vont ouvrir le ventre, dégager les entrailles et les céder aux loups…

Et puis, le travail des loups est loin d’être achevé ! Le bruit et l’odeur du combat ne sont pas passés inaperçus et tout ce que la plaine compte de prédateurs affamés est désormais aux aguets. Les deux-pieds, tout occupés à dépecer la proie, puis plus tard à la transporter, ne peuvent pas réellement veiller et comptent bien sûr les loups pour cela ; et ces derniers veillent avec d’autant plus de rage et d’ardeur, que c’est leur futur festin qui se trouve en jeu et qu’il faut protéger !

Voilà pourquoi et comment les hommes et les loups ont appris, librement, à chasser ensemble.

(nota : ce récit fait suite à nos deux articles « L’homme et le chien, retour vers les débuts »


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